Valorisations : l’atterrissage se fait encore attendre

Valorisations : l’atterrissage se fait encore attendre

Depuis plus d'un an maintenant, gps et lps font face à un durcissement des conditions de marché et à un ralentissement des transactions. Dans ce contexte nouveau, qui tranche brutalement après de nombreuses années d'euphorie, l'un des défis qu'ils ont à relever est de retrouver une juste valeur pour leurs actifs. Pour l'heure, le marché se cherche encore, mais 2024 pourrait être l'année de l'ajustement.

Avis de brouillard persistant sur les valorisations. La météo des prochains mois sur les marchés privés s’annonce encore perturbée du fait d’une incertitude toujours forte dans beaucoup de domaines. Du côté de l’inflation par exemple, difficile de se projeter sur l’évolution des prix à court et à moyen terme alors que les données dévoilées d’un mois sur l’autre délivrent leur lot de messages contradictoires, sans parler des divergences entre les économies de la zone euro. Directement liée à ce premier sujet, la politique monétaire reste elle aussi compliquée à lire même si la tendance semble plutôt être à une stabilisation des taux après ce qui a été leur hausse la plus rapide depuis de très nombreuses années. Dans le même temps, les aléas géopolitiques restent très prégnants tandis que les effets du Covid sur les trésoreries et les comptes des entreprises ne sont pas partout intégralement résorbés. Dès lors, les acteurs du private equity évoluent sur un chemin de crête. D’un côté, ils ne souhaitent pas se précipiter pour intégrer ces chocs à leurs évaluations et faire passer le message qu’ils ont fait de mauvais deals ou qu’ils ont manqué de discipline dans leur structuration. De l’autre, ils se doivent de donner une information la plus transparente et sincère possible à leurs souscripteurs, a fortiori s’ils s’apprêtent à les solliciter pour lever un fonds successeur. « Les ajustements significatifs de NAV que nous observons restent actuellement assez limités à certains actifs spécifiques. Les GPs évitent généralement une trop grande volatilité de leurs portefeuilles dans la mesure où il n’y a pas d’effet cash ni de sortie en bonne et due forme », atteste Julie Madjour, associée en Strategy & Transaction chez EY. « Nous constatons un début d’atterrissage des valorisations, mais il est encore trop tôt pour tirer des conclusions précises sur l’ampleur de la correction, abonde de son côté Boutros Thiery, directeur des solutions d’investissement de Mercer. Les quelques ajustements que nous avons vus doivent être nuancés compte tenu du faible niveau d’activité transactionnelle sur le marché. » De fait, ces sujets de valorisation sont d’abord et avant tout question de comparaison. Or, plus les volumes sont faibles, plus il est compliqué de constituer un set de comparables satisfaisant et réellement pertinent. « Autant nous commençons à voir de vrais mouvements des valorisations des actifs immobiliers, autant cette mise à jour n’est pas aussi évidente dans le private equity. Nous avons dans ce marché un effet re tard lié au fait que les évaluations se basent sur l’activité des trimestres précédents et utilisent des comparables cotés ou de transactions. Or, sur les 18 derniers mois, le volume de transactions pouvant servir de base n’est pas très significatif, pointe Arnaud Garel-Galais, Global Head of Private Equity & Real Estate Solutions chez Caceis. Quant à la valeur liquidative des parts de fonds, reflétant indirectement la valeur des participations en portefeuille, elle conserve une variabilité par rapport à la valeur objective, puisque selon les conditions de marché, les transactions secondaires se font avec prime ou décote. »

 

LES VALORISATIONS TIENNENT…

À l’aune de ce constat, la situation actuelle ressemble à la quadrature du cercle. En effet, les valorisations peinent à trouver leur point d’atterrissage faute d’une activité transactionnelle suffisante et pertinente ; dans le même temps, celle-ci ne semble pouvoir retrouver des volumes plus habituels que si les prix s’ajustent. Or, si leur érosion est bien réelle depuis quelques trimestres, le moins que l’on puisse dire est qu’elle est très lente. Ainsi, entre le deuxième trimestre de 2022 et la même période de 2023, l’indice Argos, qui mesure le multiple de valorisation médian sur le midmarket (valeurs d’entreprise comprises entre 15 et 150 millions d’euros) en zone euro, est passé de 10 à 9,9 fois l’Ebitda, avec un creux à 9,7 fois sur les trois premiers mois de cette année. « Les multiples n’ont pas vraiment baissé, car les investisseurs sont devenus très sélectifs et beaucoup d’actifs mis en vente ne trouvent pas preneurs au prix de réserve du vendeur et ne sortent donc pas. Cela représente un pipeline d’opérations important qu’il va bien falloir résorber dans les prochains mois », note Stéphane Vanbergue, associé chez Eight Advisory. Sur cette base, la réticence manifestée par les GPs à dégrader drastiquement la valeur de leurs portefeuilles est compréhensible. En plus de cette problématique quantitative, les méthodes de comparaison utilisées peuvent présenter certains biais : « Dans les évaluations de portefeuilles de private equity, nous comparons souvent avec les multiples pratiqués sur des grandes entreprises cotées en Bourse. Or, celles-ci sont sans doute moins agiles et ont à leur disposition moins de leviers de création de valeur que les plus petites sociétés midcap qui sont les plus nombreuses au sein des fonds. Dès lors, lorsque je suis sollicité pour valoriser un portefeuille, il est parfois possible de défendre une certaine stabilité de la valeur d’un investissement en dépit d’un marché coté en baisse. Les GPs bénéficient parfois du levier financier (financement LBO), contrairement aux grosses sociétés cotées, et travaillent beaucoup leur participations : leur chiffre d’affaires et leur rentabilité peuvent s’améliorer plus fortement, ce qui permet de compenser un éventuel tassement du multiple », témoigne Enguerran de Crémiers, managing director en évaluation de portefeuilles chez Kroll.

 

En filigrane de ces considérations pointent deux problématiques qui rendent l’exercice de valorisation particulièrement périlleux. La première est, bien sûr, le sujet du financement dont le coût s’est considérablement accru du fait de la hausse des taux. Les GPs ayant de plus en plus de mal à trouver de la dette à un prix qu’ils jugent acceptables, le marché se grippe. « Avec les niveaux actuels de taux d’intérêt, et même si tous les fonds sont prêts à faire des efforts sur leur TRI, sans parler de l’intensité concurrentielle qui reste forte sur les meilleurs actifs, les GPs sont obligés de payer des prix encore relativement élevés pour continuer à déployer », reprend Stéphane Vanbergue, chez Eight Advisory. À cela s’ajoute un effet lié à la poudre sèche accumulée ces dernières années du fait de levées de fonds toujours plus importantes, qui donnent aux équipes d’investissement des munitions en grande quantité pour remporter les enchères, du moins pour les deals dans lesquels elles se sont fait une conviction étayée par des due diligences de plus en plus poussées.

 

… DANS UN MARCHÉ TOUJOURS POLARISÉ

De fait, tous les dossiers ne sont pas, dans ce contexte, logés à la même enseigne et la polarisation du marché ne cesse de se renforcer. Les meil leures entreprises, évoluant dans les secteurs les plus résilients de l’éco nomie, suscitent encore un réel engouement lors des process et sortent à des niveaux de valorisation importants, éventuellement soutenus par des investisseurs industriels (lire encadré ci-dessous). À l’inverse, le moindre accroc dans un business plan ou la moindre incertitude sur les performances réelles d’une société se paie cash : le vendeur sera prié de remiser son dossier et d’attendre une autre fenêtre d’opportunités pour tenter de rouvrir la vente, à un prix qu’il aura sans doute ajusté à la baisse. La rationalisation des résultats des entreprises, si possible à des ni veaux satisfaisants pour attirer les acheteurs, est en effet une condition sine qua non pour espérer relancer le marché. Le grand sujet dans ce domaine est de mettre au jour un Ebitda aussi normatif que possible, en dépit de tous les aléas de ces dernières années. « Le choix de l’agrégat de référence est majeur lorsque l’on évoque ces sujets de valorisation. Sur ce point, le brouillard commence doucement à se dissiper, grâce notamment à l’atténuation progressive des effets de l’inflation sur les comptes. Jusqu’à présent, il était compliqué d’avoir des Ebitda normatifs alors que certaines entreprises ont d’abord souffert d’une hausses des coûts non immédiatement répercutée dans les prix de vente, puis ont pu bénéficier d’un effet d’aubaine lié aux augmentations de prix de vente alors que la hausse de coûts se stabilisait, observe Stéphane Vanbergue, associé d’Eight Advisory. II nous semble que les chiffres des entreprises sur ce second semestre peuvent être considérés par les fonds comme “achetables” et fiables. Des opérations devraient donc pouvoir se débloquer à partir de la mi 2024 sur la base de chiffres normalisés sur une période de 12 mois glissants. » « Afin d’arbitrer entre des actifs résilients et d’autres plus fragiles, l’approche par les flux a le mérite de refléter le business model de l’entreprise et le contexte macro-économique dans lequel elle évolue à court et moyen terme. Cette approche permet d’établir des scénarios et de retenir des hypothèses spécifiques et ainsi d’objectiver des multiples de valorisation en les décorrélant des seuls comparables », ajoute pour sa part Julie Madjour, chez EY. Sur ces sujets, la période récente a pu donner lieu à quelques assauts de créativité de la part de certains actionnaires, désireux de rendre leur mariée plus belle et ainsi d’obtenir une liquidité en dépit des vents contraires soufflant sur le marché. « Jusqu’à récemment, la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) était systématiquement retirée des comptes des entreprises mises en vente, en prévision de sa suppression annoncée par le gouvernement. Or, les annonces récentes vont plutôt dans le sens d’un report de cette mesure. Nous avons aussi observé des réductions de la dette nette, permettant d’accroître la valeur des titres, par l’utilisation de factoring déconsolidant. Le recours à ces outils d’affacturage, qui a pour avantage de procurer du cash avant qu’une facture ne soit payée par le client, présente toutefois un risque : ils sont en effet garantis par des assureurs-crédit, mais ceux-ci sont sortis ces derniers temps d’un certain nombre de secteurs. Les entreprises exposées à ces produits pourraient donc être contraintes de reconsolider une partie de leur dette, prévient Stéphane Vanbergue. Enfin, dans le cadre de stratégies de buy-and-build, qui sont un bon moyen d’augmenter la valeur d’une plateforme en acquérant des cibles de plus petite taille, des Ebitda proforma run rate ont parfois été présentés. La moindre LOI un tant soit peu engageante donnait lieu à une intégration de l’Ebitda de la cible dans celui de la plateforme acheteuse. Toutefois, cela présente un risque si jamais le build up ne va pas à son terme. »

 

LES LPS AU CŒUR DES ENJEUX

 

À l’arrivée, l’impression partagée par nombre de professionnels du chiffre est que les performances des participations sont plutôt robustes. Partant de ce postulat, le maintien de valorisations relativement élevées semble dans certains cas se justifier et, là encore, dissuader les actionnaires de passer leur portefeuille à la paille de fer. « Grâce à la bonne tenue de nombreuses entreprises en portefeuille, les sorties se font certes à des niveaux plus raisonnables que par le passé et en plus petit nombre, mais continuent à se réaliser. Dans ce contexte, les GPs ne sont guère incités à dégrader la valorisation de leurs portefeuilles, puisque le marché leur donne plutôt raison. En outre, beaucoup sont en levée, donc rechignent à dégrader leurs per formances et à prendre des provisions forfaitaires dans leurs livres », résume Ludovic Douge, managing director chargé du secondaire chez DC Advisory. Ce constat, partagé par beaucoup d’acteurs, met en lumière un double phénomène. Le premier est que l’ajustement des valorisations ne devrait a priori pas être trop brutal même s’il semble inéluctable pour permettre au marché de retrouver du dynamisme. « Nous n’anticipons pas un crash des valorisations ; en revanche, nous allons sans doute vers une dispersion plus forte des performances entre les gérants. II se pourrait même qu’elle soit la plus importante jamais enregistrée en private equity dans la mesure où beaucoup d’équipes n’ont jamais connu de crise auparavant et en raison de la complexification accrue du marché depuis une dizaine d’années, avertit Boutros Thiery, directeur des investissements chez Mercer, dont le fonds de fonds de septième génération (Private Investment Partners VII, successeur d’un fonds de 4,3 milliards d’euros) est en fin de levée. Historiquement, nous observons une différence de TRI annuel de 10 à 15 % environ entre les meilleurs gérants et les moins bons ; nous pensons que cela pourrait être beaucoup plus dans le contexte actuel. Probablement faut-il attendre encore de 12 à 18 mois pour voir apparaître les premiers changements. » Stéphane Barret, responsable de Crédit Agricole Private Capital Services chez Crédit Agricole CIB, se projette sur le même laps de temps pour essayer d’y voir plus clair et envisager un redémarrage du marché sur des bases nouvelles : « Si la macroéconomie ne se dégrade pas outre mesure, l’atterrissage des valorisations devrait se faire tranquillement ; en revanche, s’il y a la moindre perturbation sur les chiffres d’affaires des participations, le flux des sorties risque de ne pas repartir. Dans le même temps, s’il devait y avoir une récession en 2024, cela pourrait entraîner une baisse des taux et relancer le marché du financement. » Si cette approche par la macroéconomie pose finalement plus de questions qu’elle n’apporte de réponses, étant entendu que ces dernières sont davantage entre les mains des banquiers centraux que de n’importe quel GP, il reste un facteur qui, selon toute vraisemblance, fera bouger les lignes. II s’agit du comportement des LPs dont beaucoup d’acteurs de marché estiment qu’ils détiennent la clé de son ajustement. « Le catalyseur pour sortir de cette période d’inertie et accorder les attentes des vendeurs à celles des acheteurs viendra probablement des redistributions dues aux LPs. Les gérants sont en effet contraints par le calendrier de sortie pour préserver leur TRI et leurs futures levées de fonds », tranche Julie Madjour, associée d’EY.

 

CONVERGENCE DES PRIX SUR LE MARCHÉ SECONDAIRE

« Tous les GPs qui voudraient lever des fonds en 2024 devront présenter du DPI à leurs souscripteurs actuels et futurs. II est donc tout à fait possible que l’on assiste à des ventes semi-forcées dans les prochains mois. Elles ne se feront pas forcément à la casse, mais très vraisemblablement à des valorisations plus basses que celles initialement souhaitées par les vendeurs », abonde Stéphane Barret, chez Cacib. Lui-même souscripteur de nombreux fonds de buy-out mid et large cap, de venture et de growth, principalement aux Etats Unis et en Europe, Boutros Thiery, directeur des investissements de Mercer, confirme « challenger les valorisations que nous rapportent les GPs. II n’y a pas de règle absolue d’évaluation pour tous les actifs, mais il nous semble nécessaire de “stresser” les modèles et de voir

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