De l’impasse à la reprise : un chemin cahoteux

De l’impasse à la reprise : un chemin cahoteux

Dans cette tribune publiée dans CF News Immo, Arnaud Syoën, Directeur chez Eight Advisory, analyse le marché de l’immobilier tertiaire.  

 

Le marché de l’immobilier tertiaire montre-t-il enfin des signes de réanimation après une longue période de dépréciation ? L’année 2024 risque de se terminer sur un volume de transactions avoisinant les 8 à 9 Md€, un niveau inégalé depuis 2009. Pourtant, certains indicateurs laissent penser que le marché a peut-être atteint son point bas, ce qui pourrait annoncer un rebond. 

 

Du côté des taux, les premières baisses décidées par la BCE cet été, suivies de la Fed en septembre, offrent un signe d’espoir. La BCE a abaissé son taux de dépôt à 3,5 %, tandis que la Fed a réduit le sien de 0,5 point. Ces actions, bien que non coordonnées, marquent un tournant après des années de hausses destinées à juguler l’inflation. C’est la première fois depuis la pandémie de 2020 que les deux banques centrales abaissent leurs taux, après les avoir portés à des niveaux très élevés en 2023. 

 

Ces ajustements surviennent à un moment critique : l’Europe se trouve menacée par une récession, notamment avec la stagnation de l’Allemagne, tandis que le marché du travail américain montre des signes de ralentissement. Dans ce contexte, les banques centrales semblent désormais plus enclines à soutenir la croissance économique et à alléger les pressions financières sur les entreprises, reléguant quelque peu la lutte contre l’inflation au second plan.  

 

Surtout, ce virage intervient au moment où la Banque de France estime que la transmission des hausses de taux sur les conditions de financement est presque achevée, à hauteur de 95 %. Autrement dit, l’essentiel de l’impact des hausses de taux sur les conditions de crédit s’est déjà fait sentir, et l’économie semble digérer ces ajustements. Peut-on donc espérer une baisse rapide des taux appliqués aux financements immobiliers ? 

 

La réalité demeure plus complexe. La transmission des hausses et des baisses de taux est historiquement asymétrique. Les hausses de taux se répercutent plus rapidement sur les marchés que les baisses. Ainsi, même si les banques centrales amorcent un mouvement à la baisse, les banques commerciales peuvent être plus lentes à ajuster leurs propres taux pour les prêts hypothécaires ou les crédits. Ce ralentissement s’explique notamment par leur volonté de préserver leurs marges après une période de hausse des taux. 

 

L’inertie des taux bancaires constitue un autre obstacle. Même avec une baisse des taux directeurs, les établissements financiers pourraient maintenir des taux de prêt élevés pendant encore un certain temps. Cela découle des emprunts contractés à des taux plus élevés et du coût de financement de ces banques, qui pèsent sur leur capacité à ajuster rapidement leurs conditions de crédit. 

 

En outre, « l’effet de neutralisation partielle » pourrait ralentir les bénéfices attendus de la baisse des taux. Les entreprises et les ménages ayant contracté des prêts à taux fixe durant la période de hausse ne profiteront pas immédiatement des baisses. Les établissements financiers, de leur côté, redoutent des renégociations de contrats, ce qui freine encore davantage l’assouplissement de leurs offres. 

 

Toutes ces contraintes risquent de prolonger le rétablissement du marché immobilier d’entreprise. La réduction des taux directeurs prendra du temps avant de se traduire par une baisse tangible des taux de financement. Les prêts hypothécaires, qui ont rapidement grimpé durant la période de hausse, mettront plus de temps à baisser. Par conséquent, le financement des acquisitions immobilières restera coûteux pendant encore quelque temps. 

 

Cela ralentit également l’ajustement entre l’offre et la demande. Les prix sont sous pression, et les opportunités d’investissement, fragiles, se trouvent parfois annulées à la dernière minute. Le marché reste sujet à des retournements fréquents, créant une incertitude permanente pour les acteurs.  

 

Il serait logique de s’attendre à une réaction plus rapide du marché, avec une baisse des prix accompagnant immédiatement celle des rendements. Cependant, contrairement aux marchés obligataires, l’immobilier d’entreprise, ancré dans l’économie réelle, réagit plus lentement. Enraciné dans l’activité concrète des biens et des services, il subit les frictions structurelles de cette économie et son inertie. 

 

Ces frictions sont multiples : 

  • Le jeu d’acteurs aux coûts d’ajustement élevés, entre promoteurs, investisseurs, acheteurs et banques, 
  • La temporalité des projets immobiliers, marqués par des cycles de développement longs et complexes, 
  • La rigidité du crédit née de la prudence des banques dans l’ajustement de leurs taux après une période marquée par des hausses, 
  • La confiance des investisseurs, affaiblie par le ralentissement économique, les crises budgétaires et l’instabilité politique en France (déficit public de 6 % et un gouvernement juste nommé et déjà fragile). 

 

Le secteur de l’immobilier commercial pourrait toutefois bénéficier d’ici 6 à 12 mois d’une correction des prix en France vers des niveaux plus réalistes, favorisant une plus grande liquidité des transactions. Ce mouvement pourrait également attirer les investisseurs les plus audacieux, prêts à saisir les opportunités créées par les fluctuations du marché. Ceux qui se positionneront rapidement seront les premiers à bénéficier des fruits de cette reprise.  

 

Cependant, ces mêmes investisseurs devront naviguer avec prudence, car un scénario de crises persiste. Les risques restent nombreux : tensions géopolitiques exacerbées (guerre en Ukraine, tensions entre la Chine et Taïwan), risques climatiques et énergétiques, et menaces budgétaires croissantes en France, où la dette publique est désormais jugée plus risquée que celle de l’Espagne. 

 

Cette situation pourrait rapidement basculer. Un scénario de crise, similaire à celui de Liz Truss, n’est pas à exclure en France, avec la possibilité d’une incapacité à refinancer certaines dettes publiques, ce qui pourrait provoquer une récession majeure et déclencher une crise sévère. 

 

Malgré ces menaces systémiques, il serait prématuré de conclure que l’immobilier d’entreprise est condamné à un marasme prolongé au-delà de 24 mois. Au contraire, certains signes encouragent une vision plus optimiste à moyen terme. Une transition pourrait se dessiner d’ici 12 à 18 mois, à mesure que la baisse des taux, bien que progressive, commence à se faire sentir. 

 

Les premières baisses de taux initiées par la BCE et la Fed dessinent un chemin vers des conditions de financement plus favorables, susceptibles de raviver l’appétit des investisseurs. Alors que l’incertitude persiste et que l’équilibre entre l’offre et la demande reste fragile, le marché pourrait se réajuster progressivement autour d’une nouvelle réalité des prix, permettant aux acteurs stratégiques de tirer parti des premières opportunités sur ce chemin cahoteux. 

 

Copyright: CFNews Immo, 1er octobre 2024 

 

 

Retrouvez la tribune d’Arnaud Syoën, Directeur chez Eight Advisory, publiée dans CFNews Immo le 1er octobre 2024 

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